Résumé :

La réalisation de cette série - ANTOINE / GUILLAUME / LUCAS, trois vidéos réalisées à Marseille en mai 2008, SAM à Londres le 31 octobre 2008 - est l'écriture vidéo d'une note sur la fuite, le déplacement et le fantasme du voyage.

Dans cette série, des personnages seuls bouclent une seule action dans un seul mouvement caméra.

MARGAUX VENDASSI

série de vidéos - 2008

MARTIN MARTIN

PRIVACY

 

SECOND

A.E.K. Ballade

Et me voilà donc dans le train. L’aube se lève. Je la vois par les fenêtres de l’autre côté du wagon, rose, un peu jaune en haut, rouge sombre en bas. Le wagon est presque vide, à part moi, une vielle dame là-bas devant et un soldat en face de moi. Toute la nuit, nous nous sommes arrêtés et des gens sont descendus.

Je suis maintenant incapable de dire à quelle distance je suis de la vallée, mais ça doit faire assez loin. Je roule depuis avant que la nuit soit tombée, et nous sommes allés plutôt vite, peut-être pas aussi vite qu'on aurait pu, parce que ce train est sûrement vieux. En tous cas, les sièges sont vieux et inconfortables, et je me suis jamais vraiment endormi.

Cette région est plate. Pour ainsi dire pas de collines maintenant je peux la voir. Je n'ai jamais été dans une pays plat, et je me demande quel effet ça fait de vivre par ici. J'ai l'habitude des collines, je crois, et des pins, mais il n'y a pas ce genre d'arbres par ici, rien que des arbres bas et plus ou moins plats qui n'ont pas l'air de pouvoir bouger même par forte brise.

Je n'ai pas demandé au contrôleur où allait ce train. Je sais que j'aurais dû, mais je lui ai juste donné l'enveloppe de Mr. Williams, et je lui ai dit de me faire descendre quand il ne resterait plus d'argent pour payer le trajet. Il n'est pas encore venu, et pourtant il est passé dans l'allée deux fois depuis pas très longtemps, et j'ai cru qu'il allait venir me taper sur l'épaule, mais non, alors je suppose que j'ai encore un peu de chemin à faire. J'espère que je vais descendre dans une ville, une grande ville. J’ai toujours eu envie de voir une grande ville, et ce sont des endroits où on trouve du travail, et les gens ne posent pas un tas de questions comme ceux de la vallée. (...)

 

Le soleil est tout à fait levé maintenant au dessus des arbres courts, et je vois que le ciel est du même bleu lumineux qu’hier dans la vallée.

 

 

 

John Kennedy Toole, La Bible de néon, Editions 10/18, Paris, 2004, p. 215-216.

Au cinéma, le premier personnage errant fut incarné par Charlie Chaplin. Dans le monde de Chaplin, Charlot contourne et détourne des pièges et des ennemis bien réel : le vagabond tente d'échapper aux nouveaux totalitarisme politiques et industriels. Après la seconde guerre mondiale, dans les décombres d'une société en reconstruction matérielle, sociale et morale, la vague cinématographique néo-réaliste fait apparaître une nouvelle figure de l'errance au cinéma. A la différence du monde de Chaplin chargé de sens, le monde des cinéastes néo-réalistes "a perdu sa réalité ; il n'est ni hostile, ni accueillant : il n'est qu'une représentation vidée de sens, une simple évidence. (1)" La caméra comme l'homme traversent les évènements sans possibilité ni désir d'action.

Avec Michel Poinccard dans À bout de souffle de Jean-Luc Godard, l'errance devient indépendante des questions de société pour exister. "le marginal détaché du réel, de l'environnement social et familiale, sans foyer, sans travail et sans liens. (2)" va rapidement peupler le cinéma des années 1970 à travers les films de Hopper et Fonda, Wim Wenders, Chantal Akerman, Marguerite Duras. Il est le héros de la "liberté" que les caméra embarquées des road-movies ont sortie des studios et du sens.

Depuis la figure de l'errance continue de se transformer, en renforçant la distance entre le marginal et le monde ou le marginal et les "autres". Peut-être les avions, les bateaux et les trains en changeant la notion de voyage et de mouvement et en offrant, dans une certaine mesure, le pouvoir de l'ubiquité, ont placé la figure de l'errance au cinéma dans le temps et moins dans l'espace. C'est le cas notamment dans Stranger Than Paradise de Jim Jarmush où la vacuité règne en maître. Le réalisateur en utilisant le montage fait du présent et de son occupation le sujet même du film (3).

En recherchant l'étymologie du verbe "errer", on découvre qu'il vient d'une part du latin tardif iterare qui veut dire voyager, et d'autre part du latin errare qui signifie se tromper. Le langage courant a confondu ces deux origines et "errer" a pris le sens d'aller au hasard. La notion d'errance contient dès lors la notion de faute (4). Dans la littérature et l'art les artistes, souvent eux-même errant, ont essayé de représenter l'errance dans cette complexité polysémique (5).

"La vie c'est le mouvement" nous dit Martine Carol lorsqu'elle interprète Lola Monatez en 1995 dans le film éponyme réalisé par Max Ophüls

Le cinéma reproduit le mouvement lui-même : la mobilité de la caméra et le montage permettant de délivrer le mouvement des personnages, rendant une multiplicité dynamiques. Avec l'invention de technologies de plus en plus légères et portables le cinéma n'a cessé d'offrir au réalisateur, autant dans sa manière de filmer que dans ses possibilités de sujet, une grande place au voyage. Avec les machines, les grues ou la 3D il permet de voir au delà des mouvements possibles et connus. Est ce que le cinéma depuis sa création "condamné" au mouvement aurait son erreur? L'illusion de réalité a-t-elle à se faire pardonner?

(1). Annie Goldmann, L'errance dans le cinéma contemporain, Henry Veyer, Paris, 1985, p. 11.

(2). Annie Goldmann, L'errance dans le cinéma contemporain, Henry Veyer, Paris, 1985, p. 17.

(3). Céline Saturnino, De Jim Jarmush à Gus Van Sant : New York – Portland, variation sur le quotidien, ( http://recherche.univ-montp3.fr/rirra21/images/stories/saturnino.pdf ), consulté le 27 octobre 2011.

(4). Etudes littéraires, ( http://www.etudes-litteraires.com/esrer.php ), consulté le 28 octobre 2011.

(5). On peut citer quelques exemples à ce propos : dans la littérature ; Franz Kafka, Samuel Beckett, Miguel de Cervantes, Jack Kerouac, Jack London, dans les arts plastiques ; Nicolas de Staël, Caspar David Friedrich,  Richard Long, Michael Snow, Cyprien Gaillard, Raphaël Zarka et en photographies ; Robert Franck, Bernard Plossu.

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