cinéaste

Le cinéma a été inventé comme moyen de reproduction de scènes en mouvement. Mais paradoxalement, ce moyen consiste à projeter des images fixes se succédant à un rythme régulier (24 ou 25 images par seconde) et séparées par des intervalles noirs. Le cinéma en offrant la perception effective du mouvement lui-même : la mobilité de la caméra et le montage permettant de délivrer le mouvement de figures, restitue une inédite «impression de réalité». La première occupation de mes réalisations tente d’être l’expression même de la machine cinéma : le mouvement n’existe pas, il est illusoire résultant du bobinage d’épreuves immobiles dans le temps.

Dans mes projets, l’écriture précède, dans un protocole très appliqué le tournage et le montage. Je m’attarde à une écriture littéraire pour échapper un instant au film, pour oublier cette image, «dans le processus de création, cela correspond à un détournement des règles admises pour trouver refuge dans la littérature, en espérant que cela engendrera une forme de cinéma singulier.» (Chantal Akerman, vertigon°33). Lors du tournage, en les attaquant au pied de la lettre, ces textes permettent de créer des images inédites, inattendues. Les terrains narratifs que j’explore sont l’errance et le geste minuté, la désertion et les relations interpersonnelles, la vie en mouvement et le quotidien, l’évitement de l’évènement. Là, je crée des personnages qui trouvent l’endroit de leur désir d’exister face au monde. «Regarder en l’homme quels sentiments, quelles pensées le font agir, dans son chemin vers le bonheur ou la mort» (Michelangelo Antonioni, écrits 1936-1985). Je développe des narrations mineures négociants avec la fiction et le documentaire pour faire de l’être et de sa singularité la charge de mes films. Avec un regard sur mes occupations et celles d’autres personnes je retiens des allures, des styles de vie. Dans ces observations du journalier s’infiltre la fiction et lors de leur reconstitution, la romance les trahit pour mieux les restituer. Mes héros atypiques sont caractérisés par des comportements exclusifs, presque pathologiques, mis en scène dans le «temps vidéo» : le temps au présent contenu dans la durée du film. Et dans ce temps il n’y aura rien pour les perturber.  En évitant de raconter une intrigue, je soutient qu’ils existent par leur quotidien et ce n’est pas seulement ce qui est régulier et répété. Leur quotidien, c’est leur réalité : l’espace qu’ils ouvrent dans la vie pour dérouler leurs journées. Ils peuvent dire «je suis là».

MARGAUX VENDASSI